Sergueï Jirnov, sportif en émigration (France) |
Une claque olympique
au visage du "meilleur
ami des sportifs" |
Commentaire politologique de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques d'hiver aux USA |
Tard dans la soirée du 8 février 2002 a eu lieu dans la capitale de l'état
américain de Uta l'ouverture des XIX-èmes Jeux Olympiques d'hiver. Cette
cérémonie officielle, dans le pays le plus riche du monde qui accueillait pour
la huitième fois les compétitions sportives mondiales les plus prestigieuses, a
été préparée avec la splendeur toute hollywoodienne et s'est tenue sous le signe
de la revanche morale et patriotique des Etats Unis d'Amérique après les
attentats meurtriers du 11 septembre 2001. Mais du point de vue d'un russe, ce
superbe gala contenait également des symboles politiques importants qui ne
pouvaient pas passer inaperçus et qui ne sauraient être qualifiés que comme une
retentissante claque idéologique au Président de Russie Vladimir Poutine.
En effet, au premier rang des huit grandes personnalités de notre planète
auxquelles a été confié l'honneur suprême d'apporter sur le stade le drapeau
blanc olympique, marchait avec fierté Lech Walesa, le Prix Nobel de la paix
1983, le créateur en 1980 et leader légendaire du syndicat indépendant
"Solidarnosc", le dissident polonais mondialement connu qui avait joué un grand
rôle dans le démantèlement du système communiste et qui était devenu le symbole
de la lutte de la classe ouvrière libre contre son utilisation et manipulation
par les apparatchiks bolchevicks. Il était évident que Walesa n'avait absolument
rien à voir avec le sport, ce que l'on ne peut pas dire de l'idéologie. Cet
ancien ouvrier des chantiers navals de Gdansk, élu en 1990 au suffrage universel
premier Président de la Pologne émancipée et libérée des chaînes de l'URSS, est
devenu durant la cérémonie d'ouverture de la nouvelle Olympiade aux USA la
première incarnation des vives reproches au Président russe Poutine,
cet ex-officier insignifiant du KGB
tellement nostalgique de l'ordre étatique stalinien, de l'époque de la
stagnation brejnévienne et des temps de la lutte andropovienne contre les
dissidents.
La deuxième atteinte terrible à l'amour propre hypertrophié de l'actuel
dirigeant russe complexé a été portée par le choix même, tout aussi symbolique,
des "incendiaires" de la flamme olympique, tenu secret jusqu'au dernier
moment par les organisateurs des JO. L'honneur d'allumer le flambeau olympique
dans la capitale des mormons est revenu finalement à un groupe des vétérans du
hockey américain de l'époque de la guerre froide et du bras de fer idéologique
entre les deux systèmes. A cette même équipe nationale des USA qui, il y a plus
de vingt de ça, avait battu à l'Olympiade de Lake Placid d'une manière très
spectaculaire et symbolique les "imbattables" hockeyeurs soviétiques.
Il faudrait rappeler que cela s'était passé cette même année 1980 très animée
qui s'était distinguée non seulement par les mouvements revendicatifs
spectaculaires anticommunistes en Pologne, mais également par un boycott
politique des JO de Moscou par les pays occidentaux à cause de l'intervention
des forces armées soviétiques en décembre 1979 en Afghanistan.
Au bout de 10 ans, l'Union soviétique, malgré son énorme potentiel
militaire et ses prétentions au rôle d'une superpuissance mondiale, avait
essuyé un échec militaire cuisant et une défaite idéologique
honteuse dans cette sale guerre contre un adversaire infiniment moins fort,
mais indomptable et resté indompté. Le block soviétique s'est vu disloquer
complètement par la suite. L'Amérique du Nord avait finalement gagné dans cette
compétition des deux systèmes.
Un tel choix d'un double symbole idéologique pour la cérémonie d'ouverture
des JO aux USA ne pouvait pas être un hasard innocent. Il touchait les points
les plus sensibles des problèmes russes actuels d'autant plus précisément que la
majorité des vétérans du hockey soviétique de cette vieille époque révolue,
ainsi qu'une grande partie de la jeunesse talentueuse russe est passée de
l'autre côté de l'Atlantique pour y gagner convenablement sa vie comme les
"légionnaires" ou les "mercenaires" dans les clubs professionnels de hockey sur
glace de l'ancien adversaire idéologique. Strictement parlant, l'équipe russe
actuelle n'est qu'une équipe américaine bis, même si certains de ses membres
parlent encore russe et ont des passeports soviétiques, car il est déjà
impossible à la Russie de Poutine de réunir une sélection nationale valable sans
recourir à l'aide de ses hockeyeurs russes "transfuges", "refuzniks",
"traîtres", "ennemis du peuple". Avant l'arrivée au pouvoir de Poutine beaucoup
d'entre eux pensaient revenir tôt ou tard au pays, ayant gagné leurs vies.
Maintenant de plus en plus décident de s'installer définitivement à l'étranger.
En opposant au libéralisme et la richesse de l'Occident juste le patriotisme
"du kvas" et les interminables procès espionnites contre les dissidents,
Poutine accélère en réalité le processus de la fuite vers l'étranger de tout ce
qu'il y a de talentueux en Russie. Combien encore de ses concitoyens devront
suivre l'exemple du skieur autrichien Mikhaïl Botvinov et de la patineuse
française Marina Anissina avant que le peuple souverain russe se décide
d'évincer enfin de la scène politique Poutine et poutinistes avec leur politique
désastreuse?
Les XIX JO d'hiver à Salt Lake City ont commencé quelques mois après les
terribles attentats du 11 septembre 2001 et au moment même où les USA menaient
une opération de vengeance militaire sur le sol de l'Afghanistan pour libérer le
pays de l'organisation extrémiste islamiste Al Kaïda du milliardaire saoudien
Ben Laden et du régime des talibans. Poutine, en apportant le soutien aux USA,
comptait sur les avantages de la part de Bush junior, de "l'ami
George". Mais par ces allusions transparentes pendant la cérémonie
d'ouverture des JO à Uta les américains ont gentiment remis à sa place le
régime poutiniste qui comptait bien acheter la complaisance des occidentaux par
rapport aux violations des droits de l'homme et les méthodes sales de la remise
d'un prétendu ordre constitutionnel en Tchétchénie et d'obtenir les avantages
économiques du pays qui produit un tiers du PIB mondial. On peut dire que
l'Occident a donné une réponse aux lamentions par lesquelles ont simultanément
éclaté le Ministre russe de la défense Sergueï Ivanov à la conférence
OTAN-Russie, son collègue de la diplomatie russe Igor Ivanov en visite à New
Delhi et enfin le Premier ministre de Russie lors de sa visite au Forum mondial
économique de Davos qui s'est tenu exceptionnellement à New York cette année.
Enfin, les passages antidopage du discours du Président du CIO et du
serment officiel des athlètes ont sonné comme les reproches directs à cette
Russie dont la skieuse Baranova, juste 24 heures auparavant, a été disqualifiée
pour la période de 2 ans pour l'usage des substances illicites. Ce nouveau
scandale de doping confirmait malheureusement à la Russie la réputation d'un pays
d'illégalité ce qui était tout aussi symbolique.
Dans de pareilles conditions les paroles du Président Poutine avaient sonné
terriblement faux lorsqu'il s'était soudainement préoccupé avec hypocrisie,
juste la veille des JO, de la santé de la population russe, ainsi que de l'état
de la culture physique et du sport en Russie. La sincérité de l'ancien
kaguébiste Poutine était toujours douteuse, mais cette fois-ci il avait dépassé
les bornes. Bien évidemment tous les apparatchiks s'étaient mis à exubérer leur
approbation de la grandeur de la pensée présidentielle, avaient commencé à
parler avec enthousiasme de la restauration des anciennes traditions
soviétiques oubliées des "spartakiades" des peuples de Russie. Mais
il ne s'était pas dissimulé du regard de tout être intelligent que cette
préoccupation hypocrite du nouveau "grand ami des sportifs"
coïncidait trop bizarrement avec la liquidation de la dernière chaîne télévisée
russe indépendante TV-6 et avec une "brillante suggestion" du Président
de remplacer cette rédaction récalcitrante par un canal national sportif
apolitique.
Le régime poutiniste, qui à vitesse grand V acquière tous les signes d'une
vraie dictature, essaye utiliser de bonnes vieilles méthodes pour amadouer et
zomber les masses populaires. Les nouveaux propagandistes russes croient que
les images sportives dénuées de toute connotation politique pourraient prendre
la place prépondérante dans les têtes des gens. Mais avant de leur offrir du
pain spirituel et virtuel il serait préférable de leur donner de la nourriture
bien réelle. Et pour cela il faudrait développer un potentiel économique et
productif qu'un pays basé sur la peur et la contrainte ne pourrait pas avoir à
long terme. Il paraît douteux également que les gens qui passent leur temps à
essayer de joindre les deux bouts avec beaucoup de peine, dont plus de la moitié
vivent en dessous du seuil de pauvreté, se préoccupent vraiment du sport.
Elles sont d'une hypocrisie et tartuferie époustouflante, ces spéculations sportives du
pouvoir sur un problème qui certes est important, mais néanmoins très
secondaire en Russie actuelle où plus de 50 pourcents des logements et des
réseaux de communications vitales sont complètement délabrés et tombent en
ruines. Franchement, qu'est-ce qu'ils peuvent inventer comme foutaises, nos
fonctionnaires! Il nous
semble très peu probable que les affamés du Povoljié
ou des condamnés à mort dans les Goulags se préoccupaient sérieusement du
niveau de leurs prestations sportives, malgré les appels patriotiques du
"petit père du peuple".
C'est uniquement un travail libre et productif qui pourrait rendre notre
pays vraiment riche et concurrentiel sur le marché mondial. Et nous n'aurons
alors aucunement besoin des fausses campagnes de la vieille propagande
soviétique soit disant pour développer le sport et la culture physique en Russie. Dans un
pays normal, où sont réglées les questions prioritaires de logement et de
travail de la population, on n'a pas besoin d'ordres venus d'en Haut pour que
les gens remplissent leurs loisirs avec les activités sportives. Les lois
objectives de la société de consommation poussent automatiquement non seulement
les très riches, mais aussi les gens avec les revenus moyens et même modestes
vers les salles de fitness, les stades, les cours de tennis, les piscines et
les pistes de ski alpin. Cela se passe ainsi dans tous les pays développés. Est-ce
que notre "grand ami des sportifs" aura assez d'intelligence pour le
comprendre à temps et mettre fin à des tendances très dangereuses qui
caractérisent malheureusement le régime actuel? Pour l'instant cet "ami
des sportifs" passe son temps à régler mesquinement les comptes avec ses
ennemis personnels, à essayer de faire taire les opposants au régime et les
journalistes indépendants, à mettre en place un système de contrôle policier
omnipotent dans un pays qui est passé au troisième millénaire. Il reste à tous
les russes intelligents d'avoir honte de ce nouveau
Président et de son régime autoritaire. Aux JO de Salt Lake City l'Amérique a donné une claque
retentissante personnellement à Poutine, mais elle doit concerner également
tous ceux qui l'avaient élu en 2000 et
qui persistent dans les illusions par rapport ce politicien très cynique et
extrêmement dangereux. |
Février 2002 © 2002,
Site anarchique "Les organes sans danger" et Sergueï JIRNOV. |
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Le Site www.criticalsecret.com a publié dans son n°8-9 nos articles datant du février 2002 cet article |
Cet article a été publié en russe le 2 février 2002 dans Le Journal libre électronique (voir aussi la discussion dans le forum) |
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