Sergueï JIRNOV, conseiller international, journaliste, politologue,
ancien élève de l'ENA (promotion Léon Gambetta)

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Les prises et les pertes de la Bastille


La communication est devenue reine de la vie politique. Celui qui, seulement et simplement, fait les choses et ne dit rien ou le dit mal, perd aux yeux du public par rapport à celui qui ne fout rien mais possède l’art de spectacle et de sa mise en valeur publique. Du point de vue de la communication, François Hollande est visiblement mal entouré, mal conseillé ou, en tant qu'acteur, exécute mal les conseilles de ses producteurs et réalisateurs. Et c’est tant mieux pour nous et tant pis pour lui!

Sa conférence de presse semestrielle le 16 mai 2013 était une catastrophe politique et médiatique. Non pas tellement pour la forme (même si on pouvait la critiquer) ni le ton (qui était plutôt sincère), mais surtout pour le contenu – l’annonce d’une importante (pour ne pas dire totale) rupture avec ses promesses de campagne électorale de 2012. Son intervention du 14 juillet 2013 était une catastrophe humaine et médiatique. Nouvelle catastrophe. Encore une catastrophe.

Nous vivons dans un monde hyper médiatique global où chacun possède ses propres archives des interventions antérieures des hommes politiques, où tout se retrouve sur Internet, où tout est facile à trouver. Première chose que l’on a ressorti à François Hollande c’est sa promesse, en tant que candidat à l’élection présidentielle, de ne jamais organiser les plateaux télé depuis le palais de l’Élysée. Promesse ferme et solennelle, sans aucune ambiguïté.

Promesse qu’il a rompue la première fois en donnant une interview l'interview le 11 octobre 2012 aux médias d'AEF depuis son bureau à l’Élysée qui ressemblait trop à un plateau télé. Sans expliquer ce qu’il a poussé à rompre cette promesse. Quelle urgence nationale ou internationale? Aucune, en réalité. Il a récidivé à plusieurs reprises.

Promesse qu’il a reniée définitivement en organisant une intervention du 14 Juillet en directe depuis la présidence de la république. Un vrai plateau télé, à la Chirac et Sarkozy, qui ne s’en cachait plus. Et encore une fois, aucune explication valable pour faire comprendre et accepter cette renonciation constante à tous ses engagements électoraux, en prétendue rupture avec les pratiques fort douteuses de Sarkozy et de la droite bonimentrice.

Sans partager les idées de quelqu’un, le public en général n’aime pas les menteurs. Le public n’aime pas les traîtres. Le public n’aime pas les gens qui renoncent à leurs idées et promesses.

Le 14 juillet 2013 François Hollande n’a pas commis juste UN suicide médiatique et politique. Il a inventé une nouvelle forme du suicide politique: le suicide permanent, le suicide dans la durée, le suicide comme une doctrine idéologique, le suicide comme une forme d’administration de l’État. Car presque tout ce qu’il a fait depuis un an était une forme de suicide. Par rapport à ses idées de gauche (à supposer qu’il en ait encore).

Le pire: cette renonciation aux belles promesses était pour rien. L’ancien candidat devenu président s'est trahi et a trahi pour rien. Il n’a rien gagné en rompant encore une de ses promesses. Car cela faisant, en même temps, il a commis une faute d’un débutant, d'un dilettante. Hollande a enfreint une règle de base de la vie politique: on ne dit rien quand on n’a rien à dire. On ne parle pas juste pour parler. Surtout dans un cadre solennel et pompeux. Sinon on dévalue la parole et l'image présidentielles.

Le 14 Juillet 2013 François Hollande a parlé pendant 35 minutes et n’a rien dit. Strictement rien. Sauf encore une annonce d’une hausse éventuelle des impôts qu’il a promis auparavant ne pas augmenter. Ce n’est même plus ridicule, minable ou révoltant. Cela devient pitoyable. Durant cette prestation on avait honte et pitié pour ce bonhomme qui se tuait en directe à la télévision nationale, tuant tout ce qui lui restait de dignité humaine. Qui enterrait tout ce qui lui restait de révolutionnaire le jour symbolique de la Révolution française.

L’intervention présidentielle sonnait tellement creux que c’est précisément cela qui devenu la principale information, même dans les journaux télévisés des chaînes publiques. Les réactions de tout le monde étaient immédiates et commentaires mortels – faciles à faire. Le pire c’est que c’était évident à tous. Et, du coup, la droite traditionaliste et l’extrême droite ont gagné les points, juste en mettant en exergue le vide du discours de François Hollande.

A commencer par la droite traditionnelle complètement décrédibilisée suite à la guéguerre fratricide des petits chefs imbéciles. La droite ridiculisée par le retour pitoyable d’un pantin qui a conduit son parti dans une impasse financière et idéologique, à la banqueroute constatée par les membres et le président du Conseil Constitutionnel nommés personnellement par le même pantin. La droite qui se réjouissait pitoyablement d’accueillir ce pantin, fraudeur et dépensier, en sauveur du monde et de son propre parti ruiné par lui, anéanti à cause de lui, faisant la manche devant la France entière comme ces tsiganes roumains tant stigmatisés par les discours racistes. Cette droite imbécile, sur le fond d’un François Hollande encore plus pitoyable, retrouvait de la crédibilité! Le comble de l’absurde.

Avec son intervention catastrophique depuis l’Élysée François Hollande a permis à la droite auparavant décrédibilisée de regagner les points. Et encore plus – au Front National. Qui dorénavant se place (et politiquement, a parfaitement raison de le faire) en unique arbitre entre la droite traditionnelle pitoyable dans l’opposition et les socialistes pitoyables au pouvoir. Marine n’a plus rien à faire pour devenir le seul, l’unique recours contre la connerie généralisée républicaine. Juste à attendre le prochain tour. Son jeu est fait par le PS et l’UMP confondus. Par le pouvoir en place. Merci Monsieur le Président de la République!

Hollande portait un costume noir et une cravate noire. Supposés cacher son embonpoint et le rendre plus solennel, plus "présidentiel". Mais visuellement cette noirceur solennelle des habits présidentiels avait toute autre connotation. On assistait en directe à son enterrement politique et médiatique. Le pire: dans cet accoutrement de deuil il nous a parlé …. d’optimisme! Il a reproché à la France son pessimisme éternel. Dans le fond, il avait raison de le faire. Dans le fond, c’était la seule bonne idée de son discours. Mais il l’a fait mal. Et dans le fond, et dans la forme. Le président a mis le costume d’un croquemort pour parler d’optimisme! Pitoyable. Montrez-nous enfin ces professionnels de la communication qui le conseillent! La mère Patrie a le droit de connaître ces[z]héros de l’ombre. Ces zéros.

Dans sa cuirasse noire en kevlar le président suait. Visible à l’oeil nu. Agrandi par les caméras impitoyables. Son visage brillait. Non pas d’intelligence ou de joie, mais de la sueur. Sous les feux de la rampe, dans le contre-jour de l’éclairage télévisuel. Il suait certainement de la chaleur écrasante de l’été. Il suait sans doute à cause de son embonpoint (il a visiblement repris beaucoup de kilos depuis la campagne électorale). Mais cela s’interprétait par le public différemment. Le gars est mal à l’aise de nous mentir. Le gars nous ment. Le gars se sent mentir. Le gars se voie mentir. Le gars est mis à mal par l’obligation de nous mentir publiquement. Et il sue. Le gras ne sait même pas mentir sans trahir son émotion cachée par sa sueur apparente. Pitoyable.

Ah, cette fameuse reprise économique annoncée par François Hollande! Ah, ce renversement de la courbe du chômage tant chéri par ce président rêveur! Le gars ne sait visiblement pas qu’en été il y a toujours une légère augmentation des embauches – grâce aux emplois saisonniers des vacances, des intérimaires de la saison touristique et des intermittents du spectacle. La France n’est pas pour rien la première destination touristique mondiale! Mais le faire passer pour une reprise durable économique et pour une sortie tant attendue de la crise – c’est de l’incompétence ou de la mauvaise fois. Dans les deux cas, le président est perdant.

Sans oublier que pour lui faire plaisir avec son dada de l’inversement de la courbe du chômage, les professionnels de la statistique gouvernementale et du ministère du travail, zélés, cyniques et rusés, ont rayé les deux derniers mois plus de 30 mille demandeurs d’emplois qui n’ont pas fait correctement leurs déclarations mensuelles ou ont commis un petit oubli dans les démarches administratives. On a artificiellement rayé ces chômeurs des listes de Pôle emplois sans qu’il y ait la moindre vraie embauche derrière. Pour maintenir le président dans ses doux rêves de la reprise économique.

Pourtant il est énarque et il a été un haut fonctionnaire de la République, ce cher Hollande. Donc logiquement il doit connaître sur le bout des doits ces petites combines administratives avec les chiffres de la statistique. Mais il n’y a pire sourd que celui qui ne veut rien entendre. Et il n’y a pire aveugle que celui qui ne veut rien voir.

La seule courbe statistique qui s’inverse durablement depuis un an, c’est la courbe de la popularité présidentielle et de la confiance qui lui était accordée par le peuple français à la sortie des campagnes électorales de 2012. Au lieu du plafond, cette courbe vise maintenant le plancher. Et le président va droit dans le mur. En rêvant.

Et la communication politique, telle qu’elle est pratiquée actuellement, contrairement à l’idée initiale de ses professionnels et de leurs clients, en réalité dessert ses acteurs et rend un grand service au public qui assiste en directe à la mise à nu des artifices, des grands et petits mensonges d’état. Une telle communication catastrophique rend finalement service à la démocratie en montrant qui est qui et quoi. Il suffit d’allumer la télévision tant décriée pour ses mensonges et tromperies, pour voir la vérité vraie.

France, Juillet 2013


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