Sergueï JIRNOV,
conseiller international, journaliste, politologue, |
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Comment les socialistes enterrent les grandes réformes promises La mécanique, les outils et le savoir-faire du bricolage politique |
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Avant-propos. Toutes les personnes qui, au moins une fois, ont joué aux cartes, et
Dieu sait s’il y en a en France et dans le monde, nous comprendront. Et tout le monde vous dira qu’il a gâché sa chance et son atout pour rien. D’une manière débile. Pour rester poli, les gens diraient qu'un joueur pareil, s'il est sincère et honnête, est un imbécile comme François Pignon, le personnage touchant mais désespérant de Jacques Villeret dans la célèbre comédie "Le dîner de cons". Au cas où il était intelligent, il serait alors malhonnête et cynique, jouant volontairement contre les intérêts de son équipe. Prologue: l'avant-garde ou l'arrière-garde du progrès. La France a longtemps jouit dans le monde d'un grand prestige en tant que la "Patrie des droits de l'homme et citoyen", comme le pays modèle dans le domaine du progrès sociétal. Pourtant le suffrage universel des plus de 21 ans, proclamé peu après la révolution de 1789, n'a été adopté et pleinement mis en place en France qu'en 1848. Et en réalité le droit de vote dit "universel" était un privilège exclusif et restrictif des hommes - des personnes du sexe masculin. La république "des lumières" n'a étendu ce privilège citoyen aux femmes que cent ans plus tard, à sa sortie de la Deuxième guerre mondiale en 1944 (deux siècles et demi après le royaume de Suède!), et aux "indigènes" des colonies qu'en 1946. L'âge légale de vote n'a été abaissé à 18 ans qu'en 1974.
Plusieurs millions d'hommes et de femmes que la France colonialiste et
républicaine faisait venir travailler sur son sol, créer ses richesses,
lui apporter de l'éclat, ont été exclus, bannis de la vie politique
nationale. Comme des malpropres. Comme les esclaves modernes de la
civilisation occidentale. Au fils du temps la
France s'est révélée être souvent plus rétrograde et conservatrice que
beaucoup d'autres pays, qui ont déjà admis comme règle de base le
droit de vote municipal des résidents étrangers réguliers, installés et
intégrés. En 1987, le Président de la République s'y est déclaré toujours favorable mais ne jugeait pas la France prête à son adoption, mettant curieusement en avant la question de la réciprocité avec les pays d'origine des étrangers résidant en France. Un prétexte subtil et cynique mitterrandien pour mieux enterrer la réforme promise en 1981 qu'il ne voulait pas et ne pouvait plus mettre en route dans les termes initiaux. Mais le débat national a été relancé venant du niveau européen suite à l'adoption en 1992 du traité de Maastricht qui ébauche la notion de citoyenneté européenne en accordant le droit de vote et d'éligibilité aux résidents étrangers des pays membres de l'Union européenne aux élections européennes et municipales. Cette clause s'appliquera pour la première fois aux élections européennes de 1994. En revanche, en ce qui concerne les élections
municipales, la France sera, encore une fois, le mauvais élève européen: le dernier pays à
transposer dans le droit national les dispositions
de la directive européenne de 1994; dont les modalités complexes d'application ne
permettront pas aux résidents étrangers communautaires de participer aux
élections municipales de 1995. Il faudra attendre les élections suivantes
- de 2001. Entre les promesses électorales solennelles du candidat
socialiste et leur réalisation pratique pour les ressortissants européens
sous la majorité opposée, il va se dérouler trois septennats! Une proposition de loi constitutionnelle visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France a été adoptée par l'Assemblée Nationale le 3 mai 2000 par les députés de gauche et deux élus UDF, le reste de la droite ayant voté contre. Après 2002, quelques élus de droite se sont déclarés favorables à ce projet à titre personnel (Nicolas Sarkozy, Jean-Louis Borloo, etc.), tout en se sachant minoritaires dans leurs partis.
Toutefois,
cette loi n'a été inscrite dans la foulée à l'ordre du jour du Sénat
pour pouvoir être définitivement adoptée. Lionel Jospin, le premier
ministre socialiste cohabitant à cette époque avec le président Jacques
Chirac, se justifiera ne pas vouloir donner de faux espoirs en inscrivant
cette loi à l'ordre du jour
du Sénat où la majorité de droite l'aurait rejetée à coup sûr. Les sénateurs de gauche
ont à nouveau déposé une proposition de loi sur le même sujet en janvier
2006, mais la majorité de droite a refusé de l'inscrire à l'ordre du jour. Lors de la
révision constitutionnelle de 2008, plusieurs amendements tentant à instaurer le
droit de vote des étrangers non européens aux élections locales ont été rejetés par la
droite sarkoziste. Les règles du jeu législatif sous la Cinquième république en France. A la différence du jeu de cartes, où le hasard a sa part des choses, le
Président de la Cinquième République en France garde la main sur le jeu
politique quasiment toujours. Il possède tous les atouts. Ou presque. Il
décide de tout. Tout seul. Et il n’est responsable de rien. Ou presque.
C’est la spécificité institutionnelle de la fonction du chef de l’État
conçue de la sorte en 1958 par le Général de Gaulle dans la Constitution
écrite par Michel Debré et votée en référendum par le peuple français
souverain. Retour en France de 2012. Lorsque François Hollande est devenu chef d'État en Mai
2012, il a obtenu, suite aux élections législatives du mois de Juin, une
majorité confortable, mais pas absolue à l’Assemblée nationale et a hérité
d’une courte majorité au Sénat, résultant des élections de 2011. L’acte fatal. N’importe quel stratège et tacticien vous dirait qu’il est préférable de commencer le quinquennat par essayer d’obtenir les choses les plus difficiles (par exemple, le droit de vote des étrangers non européens), tant que vous avez la réserve du temps et d’énergie. Puisque les choses faciles (mariage pour tous, entre autres) seront acquises de toutes façon à la fin du mandat, même si vous êtes épuisés par la lutte. Cela vous permettrait pouvoir garder du positif facile et des résultats concrets juste avant la prochaine grande échéance – afin d'augmenter vos chances de se faire réélire sur cette dernière impression de quelques victoires faciles, pour remobiliser votre électorat au cas où il commençait à douter de vos capacités de réussir. Mais comme dans l’exemple de jeu de cartes donné en avant-propos, François
Hollande a fait l’impensable. Il a commis une faute irréparable et
inexplicable. Au lieu de garder son grand et redoutable atout (le mariage
pour tous) pour la fin de son quinquennat ou pour un moment
particulièrement difficile et décisif, il a décidé de le jouer dès son
entrée en jeu, dès la première année de son mandat. Une nouvelle politique de Hollande… sans enjeux politiques La première à compatir du choix tactique et stratégique présidentiel
bizarre était la loi sur le vote des étrangers non communautaires.
Lors de
la conférence de presse du 16 Mai 2013
François Hollande a fait l’annonce
officielle d’abandon de ce grand projet.
Pour le moins, avant les municipales de 2014. Même si
François Hollande faisait cette proposition après les municipales et
européennes 2014, il n’y aurait plus
aucune chance qu’elle soit votée. Ni pendant le mandat de ce président, et
encore moins si la droite repasse au pouvoir en 2017. C'est-à-dire avec
l’annulation plus que probable de cette réforme pour les élections
municipales en 2020 également. La France va rester un mauvais élève européen qui continue de discriminer
au 21-ième siècle quelque chose comme 5 millions de personnes qui résident sur son sol,
participent activement à son développement économique, culturel et humain.
Bravo M. le président de la terre des droits de l’homme et prétendu homme
de gauche! Crónica de une muerte anunciada. Maintenant que je vous ai démontré comment François Hollande, comme tous les socialistes avant lui depuis François Mitterrand, s'est employé pour enterrer la réforme du droit de vote généralisé des étrangers en France, je ne peux pas me retenir d'avoir le plaisir de vous prouver que moi, expert et politologue, je le savais par avance. Il ne s'agît pas de voir dans une boule de cristal ou lire dans les astres. Je suis énarque comme Hollande, Chirac, Giscard, Guéant, Copé, Rocard, Fabius, Aubry, Jospin, Royal, de Villepin et tant d'autres qui ont marqué l'histoire de la France après 1945. J'ai donc de la clairvoyance qui résulte de la connaissance profonde et interne du fonctionnement de la machine politique et administrative française. Je possède les clés de déchiffrage pour leurs codes du langage et de la conduite ce qui me permet de voir plus clair dans les discours et pirouettes des dirigeants français destinés à embrouiller le grand public. Et j'avoue avoir discerné une telle pirouette dans le discours électoral de François Hollande bien avant son élection et son entrée en fonction. Je vous ai laissé le temps et l'occasion, mes chers lecteurs, de le faire de la même manière plus haut dans cet article. Maintenant on va vérifier si vous avez réussi l'examen à votre tour. Qu'est-ce qui cloche dans l'écriture de sa proposition n°50 du candidat Hollande? "J'accorderai le droit de vote aux élections locales aux étrangers résidant légalement en France depuis cinq ans." Deux choses. La première: il est affirmatif. Trop affirmatif: j'accorderai! Un point, c'est tout! Pas de conditionnel, pas de doute, pas d'hésitation. Pourtant il sait parfaitement qu'un changement constitutionnel relève de l'impossible ou presque. Dans un pays divisé en deux par le clivage traditionnel gauche-droite. Dans un système politique où le changement de la Constitution s'obtient avec la majorité qualifiée des trois cinquièmes des suffrages des deux chambres parlementaires réunies en Congrès. Il est si affirmatif, c'est parce qu'il parle de lui-même et qu'il n'a aucune intention d'atteindre l'objectif annoncé pour le pays, pour ces millions d'étrangers qui l'attendent. Lui, François Hollande, président de la république, accorde le droit de vote aux étrangers. C'est tout. Point à la ligne. Son engagement personnel est tenu. Le reste ne le concerne plus. Mais c'est justement le reste qui est déterminant. Car la proposition de loi constitutionnelle doit être adressée au Congrès. Et si celui-là ne la vote pas, ce n'est plus le problème de François Hollande. Car il ne s'est pas engagé d'OBTENIR le droit de vote. Il ne s'est pas engagé sur le résultat mais uniquement sur sa bonne volonté de proclamer son profond attachement personnel à cette grande réforme sociétale et, au mieux, sur le processus de sa recherche sans aucune garantie, sans aucun résultat promis. Très subtil! Brillante technique énarchique et jésuite. Mitterrand aurait été content de son admirateur et héritier. J'appelle ceci "esprit pôle emploi". Dans la Bible on dit: "qui cherche trouve". Ce n'est pas vrai. Qui cherche cherche. Et peut trouver par chance ou hasard. Mais pour trouver à coup sûr il ne suffit pas de chercher. Trouve uniquement celui qui veut trouver, qui est animé par la volonté de trouver. Et je n'ai pas vu justement cette volonté dans la 50-ième proposition du candidat Hollande. Je n'ai pas discerné son engagement non pas "d'accorder le droit de vote", mais de le faire adopter par le Congrès parlementaire en session de révision de la Constitution et faire adopter une loi organique permettant son application, c'est à dire de l'obtenir. Deuxième chose: il y parlait "des étrangers résidant en France depuis cinq ans". Donc des étrangers en général. Et du droit de vote en général. Pourtant lui, énarque, élu de la république et politicien expérimenté ne pouvait pas ignorer que le droit de vote des étrangers aux élections municipales et européennes est déjà acquis en France depuis 1994, qu'il a été voté et transposé dans le droit français, qu'il s'est pratiqué en 2001 et 2008. Et le sera de nouveau en 2014. Qu'il est devenu une routine républicaine sans aucun enjeu idéologique ou sociétal. Le candidat Hollande savait pertinemment que l'enjeu depuis 1994 consiste non pas en obtention du droit de vote des étrangers aux élections locales et européennes mais tout simplement en sa généralisation, son élargissement aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant légalement et intégrés en France. Ce qui est une chose complètement différente. Car dans cette question beaucoup dépend de la manière de présenter les choses, de la pédagogie tant chérie par M. Hollande. Lorsque vous dites clairement aux électeurs français que depuis presque 20 ans le droit de vote des étrangers fait déjà partie intégrante de la législation et la réalité politique en France et qu'aucune catastrophe annoncée ne s'est pas produite, que la terre n'a pas cessé de tourner, que les 36 mille communes françaises n'ont pas été prises d'assaut par les occupants européens envoyés de Bruxelles, que la France n'a pas été victime des hordes de barbares allemands, espagnols ou italiens qui voulaient la disloquer, l'élargissement de ce droit à tous les étrangers réguliers installés depuis plus de cinq ans sur le sol français n'est plus perçue comme une menace par l'électorat rassuré. C'est une approche pédagogique et dédramatisante des peurs irréelles et irrationnelles qui permet d'avancer et obtenir les résultats réels positifs. En revanche, lorsque le candidat laisse sous-entendre qu'il est question d'un droit nouveau, imprévisible et incertain, la réaction de rejet par peur est quasiment acquise. Et s'il le fait, soit c'est un imbécile et un incapable (ce qui n'est pas le cas de François Hollande), soit c'est un politicien intelligent et cynique qui en réalité veut l'inverse de ce qu'il annonce et par provocation calculée et intentionnelle fait recours aux techniques subtiles attisant savamment les peurs et les appréhensions. J'opte volontiers pour le deuxième cas. Voilà comment je savais d'avance qu'il ferait tout pour faire capoter cette loi. Je me trompe rarement. Et l'histoire m'a déjà donné raison là-dessus. Malheureusement pour la France. Épilogue.
La constitution
du 24 juin 1793, qui n'a jamais été appliquée, déclarait : La promesse solennelle mitterrandiste reste toujours lettre morte en ce qui concerne les ressortissants étrangers non communautaires 32 ans plus tard. Et dans sa volonté de copier tout sur Mitterrand, François Hollande, à son tour, a tout fait pour enterrer cette réforme symbolique. Aussi cyniquement et subtilement que son idole. |
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